“Did you ever eat fresh tomatoes?”
La série d’oeuvres créées par Sergio Verastegui, rassemblées dans le projet How, est organisée à partir d’images et d’éléments qui reflètent un état de crise et d’urgence. En chute, dans une réalité que nous avons désormais privée de toute humanité, fascinés par les possibilités sans limites de production et reproduction, nous errons à la recherche d’un abri ou d’issues de secours. Dans How, Verastegui a construit une atmosphère d’inquiétante étrangeté, l’exposition tendant à révéler un avenir encore plus instable et catastrophique que le présent. Nous semblons enfermés dans une cabine d’un avion en chute ; nous sommes tel Icare perdant ses ailes après son vol extatique; nous errons dans le voisinage immédiat d’une catastrophe qui vient de se produire.
À partir d’éléments issus d’une société de consommation post-industrielle et d’une nature en décomposition, les travaux dans How dérivent d’une interprétation liée à la phénoménologie et à une certaine «écoute» des matériaux. Les formes résultent d’une composition entre des éléments plutôt que d’une modification des matériaux.
Nous évoluons peut-être dans un espace aérien, mais l’air y est raréfié et immobile, alors que des grandes méduses blanches (Méduses I, II, III, IV) flottent comme des fantômes portant sur leurs propres corps des fragments de parachutes, de masques et de gilets de sauvetage, comme autant de vestiges ou de déchets plastiques amalgamés qui auraient trainé dans les profondeurs aquatiques. Les grandes structures de tissu de nylon blanc font en tout cas penser à des abris lumineux où il paraît bon de s’y blottir, espérant trouver là l’unique territoire en sécurité, aussi précaire soit-il.
Verastegui associe fréquemment des objets utilitaires, des fragments de matériaux industrialisés à des éléments naturels organiques ou minéraux. À l’instar de la série de sculptures Birth, 2019, où des draps en coton servent de base pour composer des parois ornées de crânes, d’os et de peaux d’animaux. Quant à l’œuvre Ecdysis, 2019, des morceaux de carton ondulé y sont recouverts de feuilles d’or, à l’apparence d’exosquelettes abandonnés ou d’une peau de reptile à la couleur changeante. Ces matériaux d’origines diverses se complètent dans un dialogue où « nature » et « culture » sont les deux faces d’un même récit. En ce sens, le processus créatif de l’artiste semble bien souvent se baser sur la transformation d’un objet inanimé en une sculpture « vivante ».
Sans probablement en avoir vraiment conscience, l’artiste qui est toujours en déplacement, navigue entre deux héritages : celui de la culture occidentale et son vocabulaire sur la pensée artistique et la manière de «faire de l’art», et l’héritage régional et sa compréhension particulière de la matérialité, du corps et de l’espace. Cette position tangente ou ex-centrée fait de lui un penseur atypique et privilégié de sa propre culture, libéré de l’enracinement des traditions et du «monolinguisme». Capable d’élaborer des récits transculturels et de réfléchir de manière globale sur sa propre culture.
Ayant vécu pendant cinq ans à Rio de Janeiro au début des années 2000, Verastegui a bénéficié d’un contact direct et soutenu avec les œuvres d’artistes essentiels à la formation d’un langage sculptural post néoconcrétiste au Brésil, à l’exemple de Hélio Oiticica, Lygia Clark, Lygia Pape, Arthur Barrio, Nuno Ramos et Tunga. Il le dit lui-même, qu’avoir côtoyé ces artistes dans le contexte carioca (de Rio de Janeiro) lui a ouvert «de nouvelles possibilités d’expérimentations de la matérialité, mais également, (lui a fait) découvrir une liberté explosive dans la compréhension de l’espace et du concept de l’art lui-même, laissant aussi cet espace et ce concept être contaminés par des formes urbaines et culturelles telles que le carnaval ».
Tous les artistes mentionnés par Verastegui puisent le fondement de leurs pratiques dans la manière d’appréhender l’espace et les matériaux. Du «bolide-transobjet», qui utilise l’appropriation d’objets existants aux « Pénétrables » d’Oiticica en passant par les installations sensorielles de Tunga, ces œuvres placent la création dans l’instance sociale à travers une réflexion esthétique extrêmement complexe.
Attentif au processus, Verastegui réassocie des éléments trouvés et rassemblés dans une chorégraphie des pièces, créant ainsi un espace suspendu offrant une «compréhension ambientale» du travail. Il aborde ainsi les questions de son temps pour obtenir des résultats formels extrêmement puissants et poétiques.
Camila Bechelany
Septembre 2019