Kevin Rouillard - Soudure et Mayonnaise

Soudure et Mayonnaise

Soudure et mayonnaise. Cela pourrait sonner comme le titre d’une fable, avec
l’artiste au travail pour personnage principal, partageant son temps entre
l’atmosphère blafarde de l’atelier, où voltige les poussières de métal, et celle
plus confortable de la cuisine, à mélanger des œufs, de la moutarde et de
l’huile entre deux sessions d’assemblage. Ce serait presque le titre d’une fable
si ça n’était pas, plus prosaïquement, l’énoncé de ce qui est moins un
programme que l’expression d’une situation quotidienne, rythmée par les
nécessités professionnelles et, pour le dire rapidement, biologiques.
Soudure et mayonnaise donc, deux activités qui n’informent pas tant le travail
de l’artiste que le contexte prévalant à sa réalisation, quand l’horizon des
occupations ordinaires s’obscurcie sous l’ombre d’un agenda trop rempli. Il
faut dire que Kevin Rouillard, entre ses grands murs du Palais de Tokyo
(exposition visible du 20 février au 17 mai 2020) et cette nouvelle exposition
proposée parallèlement à la galerie Thomas Bernard, n’aura pas beaucoup
arrêté ces temps-ci. Mais au burn out qui menace comme une épée au dessus
de la tête de notre occident néo-libéral, l’artiste renvoie à une formule qui
n’est pas sans faire écho au fameux Traité du zen et de l’entretien des
motocyclettes (1974) de Robert M. Pirsig. Dans les deux cas, la même
inclinaison à trouver dans les gestes répétitifs (pour ne pas dire littéralement
aliénants) une certaine noblesse : celle qui conduirait au repos de l’esprit et à
un sentiment, sinon de plénitude, tout le moins de dégagement – dont le
travail ne serait rien d’autre que le catalyseur.
Et c’est ainsi que sont à nouveau sorties de l’atelier de la rue Nau, dans le 5 ème
arrondissement de Marseille, de grandes compositions métalliques. Chacune
d’elle est monochrome : jaune, rouge, beige ou noire, et brille comme un
habile rapiéçage de carrosseries. L’artiste explique avoir eu en tête des
drapeaux, dont ces pièces seraient en quelques sortes l’expression minimale,
au moment de leur exécution. Mais ici encore, suivant l’orientation qui fut la
sienne ces dernières mois, plus de signes ou de juxtapositions de couleurs qui
donneraient à ces bannières rigides une quelconque origine : elles restent
orphelines de sens et d’appartenance, occupant les murs de la galerie tel un
paysage rendu à sa plus simple apparition.
On pensera alors, et une fois de plus, face à cette « couture » de bidons
déroulés – comme se plait à la qualifier Kevin Rouillard – aux artistes
appartenant de près ou de loin à la Color Field painting – Mark Rothko et
Ellsworth Kelly en tête. Cependant, ces surfaces abstraites portent toujours en
elles les stigmates de cette intense proximité qui lie l’artiste à son matériau.
Rejetant un certain idéalisme formel propre à ces peintres au profit de la
présence troublante, vibrante presque, du métal transformé, Kevin Rouillard
fait surgir du monde industriel la part contemplative qu’on lui aurait ignoré.

 

Franck Balland