STEPHANIE CHERPIN, UNE ARTISTE IMMIGREE
par CHRISTOPHE DONNER
4 Octobre 2013, Quotidien de l'Art, p.4
Elle a vécu en Afrique, Stéphanie Cherpin, et a participé au Salon de Montrouge en 2010, où elle a présente une gigantesque baleine affamée. Portrait.
Elle a une trentaine d'années, elle a tout de suite voulu faire les beaux-arts mais elle s'est retenue, le trac des DRAC ou un truc comme ça, elle a donc commencé par suivre des études sérieuses, khâgne et hypokhâgne, une maîtrise de philo, trois mois à Sciences Po, « un cauchemar », avant d'entrer, enfin, aux beaux-arts, à Bordeaux.
Comme souvent dans les études d'art, elle a surtout appris ce qu'elle savait déjà. Ce qu'elle devait retrouver : l'Afrique En traversant Tarte povera - tendance Paolini -, Franz West, jusqu'à Anita Molinero, elle a récupéré les gestes, les audaces, les forces d'une situation ivoirienne vécue à 5, 6 et 7 ans. Pour certains, c'est à cet âge-là que ça se passe Passent le courant, la lumière et les sons, fixant l'esthétique, la morale Le style Et elle a trouvé une galerie (Cortex Athletico [Bordeaux- Paris]).
Stéphanie Cherpin est une artiste immigrée. Elle a une voiture avec un grand coffre, elle circule à la périphérie des villes qui lui commandent des oeuvres, elle s'arrête devant les ateliers, les usines, les dépôts, les chantiers, les magasins en gros, où elle repère et choisit des objets, des outils, des machines et des matériaux, des idées Ça peut durer des semaines. Elle ne récupère pas, elle achète. Elle fout tout ça dans le coffre de sa grosse voiture, et ramène ces emplettes sur le lieu où elle est censée créer une oeuvre d'art.
QUAND ELLE A ASSEZ PENSÉ, VOYAGE, ACCUMULÉ, ELLE CLOUE, COLLE, ASSEMBLE, BRISE, SCIE,
DÉCOUPE, construit le monument d'un chagrin enfantin : à quoi servent ces objets sur lesquels on pourrait taper pour faire de la musique, ces modes d'emploi dont on pourrait faire des persiennes, ces portes derrière lesquelles on ne sait rien, ces planches à échafauder des oiseaux et des maisons à vider les planchers, ces tuiles à ne pas monter des escaliers, ces néons à faire cuire un oeuf, ces rails de chemin de fer dressés vers le ciel ? Souvent, Stéphanie Cherpin dresse les choses.
Il y a de la colère contre les outils sophistiqués, interdits, dangereux, dont l'artiste ne sait pas se servir et dont elle se sert quand même, à sa manière. Tout comme la couleur qui vient adoucir les moeurs de ce très physique chantier où le détournement des matériaux se combine avec le pervertissement des outils. Les premiers prennent parfois la place des seconds et inversement, et ce faisant, elle redéfinit l'art, puisqu'elle s'approprie un reel de pure ironie Négritude enfin repérée sans la race qui la cache, sans la peau et les langues qui en aveuglent l'interrogation éthique : à quoi ça sert, ces choses ? Totem. Dresser, encore une fois, la nature des objets en gigantesques poupées animistes. Et faire ça pour le tramway de Bordeaux (c'est son projet de l'année prochaine), ou pour le Salon de Montrouge où elle présenta en 2010 sa gigantesque baleine affamée, Starving in the kelly of a whale. Terrifiant, en même temps fragile. Ephémère, en même temps inoubliable. Tragique, en même temps pudique.
Texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes du Salon de Montrouge, avec le soutien de la Ville de Montrouge, du Conseil general des Hauts-de-Seine et du ministère de la Culture et de la Communication.