Viola Groenhart, films

Si le cinéma imprime 24 fois par seconde « la mort au travail » comme l'affirmait Cocteau, ou s'il est intéressant car il saisit la vie et le côté mortel de la vie comme le suppose Godard, c'est parce qu'il est, à l'instar de la photographie, une mécanique qui « produit la mort en voulant conserver la vie » (Barthes). Héritier de part et d'autres des principes de la camera obscura et des jeux optiques, le cinéma produit aussitôt cette esthétique de l'ombre et de la lumière, fantastique et crépitante, flottante : un monde habité de fantômes, de créatures étranges et scintillantes, attaquées de spasmes ou de syncopes comme par maladie.  
Le cinéma de Viola Groenhart est un cinéma de l'absence. L'empreinte lumineuse y enregistre des spatialités distordues dans des temps parallèles. Dans Sanctus (2007) un peuple d'ombre surgit du noir. L'orchestre d'abord puis au fond une tapisserie de figures éclairées par groupe. Immobiles, elles sont suspendues aux nappes sonores des choeurs grégoriens de la Berliner Messe (1990) du compositeur estonien Arvo Pärt. Les spectres en lévitation accrochés dans le noir sont des figures de cire et des apparitions lumineuses filmées dans une esthétique picturale flamande dix-septiémiste, sur lesquelles la mystique de Pärt coule. Peuple de revenants silencieux convoqués par une voix d'au-delà, ils possèdent les qualités magiques du photographique. Le film rejoue la boite noire de la camera obscura, le rayon lumineux  révèlent les objets filmés en tant que présence et absence. Cette plastique de la résurgence est une dialectique du passage, celui de l'apparition à la disparition, du fixe au mouvement, de la vie à la mort. Le cinéma y est l'habitat magique de protubérances lumineuses en attente.
Dans Two Ways (2009) elle filme deux hommes escaladant les montagnes de Wasdale Head, au nord-ouest de l'Angleterre. Le premier file son chemin, le second peine. En plan subjectif la caméra enregistre sa difficulté, son instabilité, son incapacité à suivre le chemin tracé par celui qui le devance. Puis, habitée d'une autonomie quasi-surnaturelle, elle décroche, glisse vers le bas en frôlant la coulée des pierres sombres et angulaires. Plan fixe sur les cailloux. L'ouverture de l'obturateur n'a pas bougée mais le ciel s'est dégagé et le cinéma rend compte d'un mouvement par l'apparition au sol d'un rayon de soleil. Le film attrape ici quelque chose que seul le cinéma pouvait capturer : un indicible et fulgurant changement dans la lumière. Car le cinéma capte le changement et les transformations car il est transformation et dispositif lumineux de métamorphose.
Viola Groenhart dit de Sanctus "J'ai fait Sanctus avec le désir de rendre visible l'élément « sacré » que j'éprouve dans la musique et dans le silence. Mais Sanctus parle aussi d'une certaine incapacité humaine ou d'un refus même, de l'atteindre." Si Viola revendique comme centrale la notion de « calme » dans son travail, l'ambigüité de cette notion, "stillness" en anglais, renvoi doublement à l'apaisement et à l'image figée, fixe ou photographique au cinéma. Dans les deux cas le silence et l'immobilité sont associés à la mort car l'arrêt du mouvement renvoi de fait à la fin de quelque chose : celle du récit en même temps du ruban filmique . Le fixe opposé au mouvement, l'orchestre contre le choeur et le cadre face au mouvement convulsé, c'est ici la résurgence du photographique dans le film, l'instinct de mort du cinéma qui le hante comme l'ombre de Yakov Petrovich Goliadkine pouvait torturer son maître.

Viola Groenhart est née en 1981 aux Pays-Bas. Elle vit et travaille entre Amsterdam (NL), Lille (FR) et Vieux-Fort (GLP).
M. C.


Film Programme
Sanctus
2007 / 16 mm transferré sur dvd / 5'30 / col. / sound
Two Ways
2009 / 16mm transferré sur dvd / 8' / col. / sound

Sur moniteur
Passage
2006 / video SD / 3' / col. / sound

The Chinese remercie Viola Groenhart, Louise Boutkai-Courcier et Thomas Bernard.



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