Isabelle Cornaro, films

Théoriquement on peut bien accepter que le film n'ai d'autre ambition que de saisir le mouvement et la lumière. Premier rêve d'Oskar Fischinger (2008) - en référence à l'une des figures centrale de l'avant-garde du cinéma abstrait - est un sketch filmique redéployant en deux temps, au travers du cinéma, l'expérience du tableau. La première partie est un travelling en caméra portée sur une composition d'objets disposés dans le noir. Vient ensuite une succession de plans fixes qui dévoilent la caractéristique de la scène : il s'agit d'un paysage construit à partir d'un buste miniature sculpté dans de l'ivoire, de bijoux déroulés à plat, de flacons décorés, d'objectifs de prise de vues. La deuxième partie, en contraste, est une série de plans fixes sur des sulfures de cristal à l'intérieur desquelles est enfermé, à vif, des pâtes colorées. Les gros plans successifs dévoilent l'ambivalence de l'objet et de ce qui est vu : nouveaux paysages construits au croisement du rêve et de l'archaïsme, rencontre alchimique du feu et de la matière. Ce sont des tableaux photographiques et picturaux, les mouvements arrêtés y fossilisent ce qui est déjà fossile. L'expérience des « ressemblances informes » dégage ici la composition de ce qu'elle est par la voie de l'abstraction. En même temps, le film réinvente ici la peinture de paysage en redéployant les notions de spatialité et de profondeur, de dessin et de composition.

Ainsi, la série des installations Paysage avec poussin et témoins oculaires (depuis 2009) sont des compositions sur socle d'objets liés à la représentation de la nature. Les modules installés hiérarchiquement, par ordre croissant de taille et de forme, reproduisent, dans la perspective de l'espace d'exposition, ce qui est, plan à plan, un ordonnancement classique d'espace paysagé, du moins tel que la tradition picturale occidentale nous l'a livré. L'ensemble redéfinit, par le biais de l'abstraction, le déroulement spatial de la profondeur du tableau. Des tapis, d'inspiration orientale, roulés au sol, marquent les premières horizontales. Le placement des socles, à hauteur variables et progressives, définit structurellement l'idée de troisième dimension. La déambulation dans l'installation produit physiquement la décomposition du tout en fragments. Dés lors, le mode perceptif opérationnel proposé est cinématographique : par ce mouvement même, par le montage qu'il provoque, le cadre, la composition des plans en devenir. Le paysage, par le glissement des ressemblances, et par le retournement de la représentation sur elle-même, est ré-écrit au moyen d'objets domestiques, principe expérimenté précédemment dans la série des Savanes (2003-2007), paysages de brousse dessinés par agencement de bijoux anciens. Les objets ici sélectionnés sont des objets usuels à l'image de ce dont ils ont la fonction : une terrine en faïence en forme de lapin, des vases décorés de fleurs, un coquetier en poussin. Ce sont aussi un ensemble d'instruments scientifiques destinés à la mesure de l'espace : des jumelles, une loupe, une mire de diapositives, des règles. Tous sont des trophées de civilisation, sédiments d'une culture moderne et progressiste, marqués d'une esthétique qui ne peut totalement couvrir leurs valeurs idéologiques.

Les films d'objets réalisés par Cornaro ont en commun de pervertir la matérialité de ses sujets et de les explorer comme potentiel paysages (de couleur, de forme, de narration, d'inspiration). La série des Projections présente des esquisses filmiques à partir de projections de peinture rouge, jaune et bleu sur des formes géométriques en cartons. Là où les références picturales sont subverties par le geste artistique détaché, lorsque le volume et la ligne sont contredis par la tache pulvérisée, le cinéma lui-même est renversé. Car ces bouts de film, lorsqu'ils ne sont pas présentés dans une salle de cinéma, servent de source lumineuse, disons-le ces films sont aussi des lampes, pour éclairer des moulages en plâtre d'objets sur table (Homonymes, 2010).

Si l'image est une apparence fantomatique mise à jour sur un support matériel et si la projection d'une ombre fait image comme l'empreinte laissée par l'animal, le reflet de la lune dans l'eau ou le fossile dans la roche, l'image survit donc bien ici à sa définition platonicienne donnée en termes de ressemblance et d'analogie. Les Moulages sur le vif (Vides poches) (2009) sont des scanners photographiques d'objets posés, sans ordre apparent, à même la vitre de l'appareil. L'empreinte lumineuse est ici un « moulage » car le principe de reproduction est envisagé dans un mouvement de réversion : il brosse à rebours le chemin qui mène du concept abstrait jusqu'à son origine concrète, de l'objet reproduit à l'original. L'image est une empreinte. Il s'agit bien de mettre au jour les images dissimulées derrière les fétiches, de les redéployer comme des sites de production graphiques et rhétorique. Ces objets-images eux-mêmes producteurs d'images, sont ici de toutes façons des formes « fantasmagoriques » portées par une vision iconoclaste où les formes produites, quoique soit leur sources, sont projections (d'ombres, de lumière et de rêve).

 

 

M.C 

http://chinese-girl-film.blogspot.com

 

 

2010 / 16mm transferré sur dvd / 6" / coul. / sil.

Floues et colorées

2010 / 16mm transferré sur dvd / 3.26"/ coul. / sil.

De l'argent filmé de profil et de trois quarts

2010 / 16mm transferré sur dvd / 2.02"/ coul. / sil.

Film-lampe

2010 / 16mm transferré sur dvd / 1.40"/ coul. / sil.

Première rêve d'Oskar Fischinger

2009 / 16mm transferré sur dvd / 1.33" et 1.41" / coul. / sil.

 

ChinaGirl remercie Isabelle Cornaro, Gallery Balice Herting et Anne-Sophie Dinant