Hector Castells, a stag beetle in canal bridge

Hector Castells

A Stag Beetle in Canal Bridge

25 janvier - 24 mars 2011

 

La caméra suit un coléoptère sur les trottoirs humides de Londres. Nous sommes sur Canal Bridge, il est minuit. Le rouge y est la couleur du noir, des drames urbains, de l'anxiété, du bruit des sirènes et du ressac des voitures auxquels est posé, en contre-point, une improvisation à la guitare dédiée à la baleine de la Tamise, jeune femelle de 7 tonnes, apparue dans le fleuve en janvier 2006 ; et où elle mourra quelques jours plus tard. Visuellement, il s'agit d'un long plan séquence concentré sur les mouvements de l'insecte. Esseulé, il tourne en rond attiré par quelques détritus. Il rebrousse chemin, cherche une issue et il tombe. Sur le dos, le scarabée s'agite car la mort est là, il le sait. L'artiste assiste au spectacle du naufrage qu'il enregistre comme les caméras du monde entier avaient enregistrées le sauvetage et l'agonie de la baleine dans les eaux de la Tamise ; mi terrifiées mi-fascinées. Celle-ci, d'après les scientifiques, se serait trompée en descendant à hauteur de l'Ecosse et en poursuivant sa route en mer du Nord. Entrée dans l'estuaire du fleuve, guidée par son instinct qui la poussait pourtant à rejoindre l'Atlantique, elle est morte après trois jours de déshydratation et de faim - comme Grégor Samsa mourra de faim dans la Métamorphose et comme Kafka lui-même mouru de faim.

La mort c'est long et le dernier souffle n'arrive pas comme cela, pas d'un claquement de doigt. On ne meurt pas dans son sommeil comme par enchantement, mais on meurt dans la peur et la bouche ouverte. Celle de l'insecte filmée en gros plan est tout à fait spectaculaire, à la fois veilliard et nourrisson, la lumière sur ses mandibules d'acier dans le noir révèle une physiologie du manque, de l'asphixie et de la peur. Ici la méthode choisie pour filmer ce monde ne diffère guère de celle appliquée par les pionniers du film scientifique sauf que là, la restitution par le film des caractéristiques essentielles de l'objet étudié, de la magie du monde animal et du microcosme urbain, de la poésie inhérente à ce même monde, même si c'est une poésie noire, est portée par un geste. Castells filme ce spectacle de la nature sous les lumières rouges de la cité urbaine, activant par le documentaire la dimension poétique et politique de la vie qu'il enregistre. Le cadre n'est pas fixe, la méthode peu précise, le cinéaste est recourbé, l'animal est sur le dos, l'un regarde presque avec cruauté si l'autre, la gueule ouverte, pourra s'en tirer. La rencontre bascule presque par mégarde du côté de l'étude zoologique et du manifeste politique. Et si la main tremble, si le souffle manque, si après sa chute et sa relève le cafard est grogui, et si le cinéaste chancelle comme pris de vertige en reprenant lui-même sa route, c'est qu'il y a eu une sorte d'empathie dans la double performance. L'insecte est ici un habitant du monde filmé pour ses qualités anthropologiques. Film animalier et petite parabole de la condition humaine, A Stag Beetle in Canal Bridge est aussi un geste, une investigation plastique, une chute et l'image d'un abîme qui fit dire à l'autre : « Si infime que soient les êtres, nous ne pouvons nous représenter sans violence la mise en jeu de l'être en eux » (G. Bataille). Dialectique de la vie contre la mort, la vidéo est le moyen d'enregistrer une réalité zoologique devenue à rebours étude ethnologique, sociale et urbaine.

Hector Castells est né à Barcelone en 1978. Il vit et travaille à Londres.

 

M.C

http://chinese-girl-film.blogspot.com

 

Stag Beetle in Canal Bridge

2010, 27", vidéo, col., son

 

ChinaGirl remercie Hector Castells, Délia Rémy et Cortex Athletico