On pensait que le cinéma permettrait à l'homme moderne de devenir l'acteur de sa propre vie. Sa capacité émancipatrice, liée au mouvement et au processus cinématographique même, proposait des expressions imaginatives et des mondes nouveaux, un univers de possibles, instable certes mais toujours en devenir. Le cinéma devait ré-inventer le monde, l'explorer. Il tournait autour de la vie à la manière d'un satellite.

Connor Linskey m'a raconté l'histoire du Maelstrom, la descente au coeur du tourbillon illustrée brillamment par E. A. Poe dans sa nouvelle de 1841. La terreur, la vraie chez Poe prend la forme du vortex dévorant et destructeur du Maelstrom sur les côtes norvégiennes. Sa couleur est cuivre, il tourne, engloutit et régurgite avec une effroyable vélocité. Et pourtant, ce n'est pas la différence entre effroi mortifère et effroi esthétique, mise en exergue par Poe, qui ont retenus l'attention de l'artiste mais bien plus une question de géométrie? disons un point sur un axe à l'intérieur du tourbillon à l'image du héros prit dans la tornade. Et ceci pourrait bien être, m'a expliqué Connor Linskey, la position de l'artiste.


On pourrait imaginer celui-ci prit au coeur de la tourmente, dans le monde, entrainé par les événements et par l'histoire. Cependant, il s'agit bien plus ici de considérer le principe de la rotation comme la condition de l'activité artistique parce que le mouvement du monde ne peut être saisi que par un corps en mouvement. Il serait alors illusoire de croire qu'il soit suffisant de se poster à l'extérieur pour regarder la vie. L'enregistrement ne peut plus se contenter de l'observation, ni même de l'invention : il est hautement participatif. L'artiste, équipé ici d'une caméra, suit le mouvement rotatif d'un objet choisit pour ses qualités esthétiques, sa couleur, sa forme, sa mise en scène (au croisement du vulgaire et du sculptural). Le mouvement du monde, qu'il suit et auquel il participe, l'entraine inévitablement vers une nouvelle position, un nouveau point de vue et, lui-même en mouvement, suit le mouvement du monde tout en déployant sa complexe et insaisissable réalité. Nous parlons de structure. Il s'agit du " changement de position entraînant un déplacement apparent de l'objet observé (de sa position sur un fond) causé par ce même changement de position" définit par Slavoj Zizek dans
The Parallax View (2006). La chose regardée démontre, en apparaissant, l'impossibilité d'un accès direct à ce qu'elle est, au réel même. La différence n'est pas que subjective, c'est-à-dire pas simplement phénoménologique. Il s'agit bien plus d'une médiation car le décalage du point de vue entraîne dans sa course une ontologie du changement dans l'objet lui-même. Le réel nous dit Jijek est purement parallactique et n'a pas de substance en lui-même. C'est l'écart entre la chose regardée et la chose elle-même, perceptible d'autant plus ici dans le mouvement qui habite et entraine la chose (la voiture sur le podium), que la multitudes des apparences, des fictions symboliques et du virtuel apparaissent au moyen de l'enregistrement cinématographique.


Connor Linksey est né en 1980 à Belfast, il vit et travaille à Londres.
Marie Canet

Programme
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Vidéo, 45?, col, son