Rolf Julius - Black listens to red

Rond - arrondi
Ovale (entre ovale et rond)


Sur la notation


Un rond, devenant plus rond, du bas à gauche vers le haut à droite, dessinant même à un endroit le segment d'un cercle : le rond devient de plus en plus rond si l'on se concentre uniquement sur sa forme et que l'on cligne des yeux. En regardant la forme ronde, on découvre que son rebord n'est pas uniformément lisse ou aiguisé, comme l'on s'y attendrait avec la lettre « O ». Il n'y a aucune partie
du rond qui ait un rebord parfaitement affuté. Les rebords sont loin d'avoir cette qualité aussi grande, ils sont grossiers, vagues, élargis ou rugueux. Parfois, il y a plus d'une ligne de rebord, ces lignes se superposent et peuvent passer du noir à un gris profond et vague, mis en valeur par la dominante noire de la forme intérieure.
La forme intérieure n'est pas non plus d'un noir homogène, comme l'on pourrait s'y attendre d'une forme imprimée. Comme avec les rebords, la monotonie a été volontairement évitée. Elle a été remplacée par la différenciation et la joie, au sein de ce noir « formateur », créant mes changements subtils de couleur.
Je dois mentionner la taille de la forme. Des changements émotionnels liés à la perception du spectateur, tout comme au médium en soi, peuvent se produire selon si le rond couvre le papier à moitié ou occupe le papier presque entièrement, et ainsi de suite. L'orientation du rond - parfois légèrement décalée, parfois tendant vers l'ovale - changera également la lecture de la forme.
J'utilise volontairement le mot « lecture », parce qu'un rond imprimé tel qu'il est décrit ici correspond habituellement au domaine des beaux-arts et il est perçu comme une oeuvre d'art abstrait - ou plus précisément, d'art concret. Peut-être que l'on regarde les rebords sans porter de jugement - ce que je préfère personnellement. Laissons de côté les moyens traditionnels d'expérimentation et entendons ces formes rondes comme des signes variables, qui peuvent être décodés et lus, non pas comme des mots d'un langage connu, mais comme des signes d'un alphabet étranger, ou une technique inhabituelle de notation musicale qui décrirait les contours d'une forme, traduisant les variations de couleur et d?orientation en un langage puis en des sons et de la musique, qui devient ensuite un langage musical. Ce langage doit être ré-appris.
En étudiant ce langage, on découvrira que ses règles, sa grammaire, voire même son vocabulaire ne peuvent être décrits de manière
précise. On y trouvera peut-être une ressemblance avec le japonais, une langue qui - contrairement aux langues occidentales - offre des pistes différentes de compréhension. Pour citer une métaphore de cette culture : ce langage est comme une pleine lune qui, quand un typhon approche, devient un halo rond et brumeux.
Je reviens aux formes. J'imagine environ soixante impressions de formes rondes, ovales, presque noires, sur du papier coréen de 30 cm par 40 cm, encadrées et fixées dans un ordre aléatoire sur un mur blanc et neutre. Certaines formes ont des points communs, certaines impressions se ressemblent ou sont quasiment identiques, elles se distinguent simplement par de très légers décalages vers le haut ou vers la gauche et la droite. Il y a ensuite des exceptions, des formes qui ne rentrent dans aucun cadre et attirent ainsi notre attention. Elles déterminent la structure de la partition - j'appelle l'espace de ces formes imprimées une partition maintenant - elles sont des symboles frappants et, en termes de notation musicale, elles établissent quelque chose de l'ordre d'une seconde voix pour un texte musical. Transposées aux notes d'un clavier, elles sont bruyantes, mais produisent des sons graves beaucoup plus sensibles.
La partition laisse une grande liberté d'interprétation, ce qui donne encore plus de responsabilité au performeur dans le suivi précis du texte musical. De cette manière, chaque concert se transforme en une nouvelle performance, sans renier son origine dans une partition non déterminée par des moyens conventionnels.
Un rond quasi noir, partant légèrement de la gauche, en direction de la droite, arborant les rebords brumeux d'une lune japonaise, résonne différemment que le ton d'un concert.


Julius, mars 2005


Traduit de l'allemand en anglais par Volker Straebel


Écrit à l'occasion de de la performance de Aki Takahashi lors de l'exposition de Rolf Julius à la Kunsthalle Fridericianum en 2011.
Publié dans MaerzMusik, Festspiele fur aktuelle Musik, program book, Berlin : Berliner Festspiele, 16 -26/03/2006, p.101-103

 

 

À l'occasion de l'ouverture de l'exposition

Black listens to red, la galerie Cortex Athletico

a le plaisir de vous informer de l'inauguration

de la salle permanente d'Archives Rolf Julius.

 

 

Les lieux de Quiétude

 

J'ai longtemps réfléchi sur comment créer des espaces où l'on peut se retirer et y trouver du repos, où l'on peut voir, entendre et se concentrer, où l'on est coupé du monde extérieur tout en y participant. Ils doivent être simples, vides et créer une ambiance de silence, avec l'aide de l'art ou de la musique, ou les deux combinés.

Je cherche des endroits qui peuvent être cachées, dans des appartements privés, dans des bâtiments publics, qui peuvent être dans la cave, ou solitaires dans une forêt, près d'un lac, ou dans la ville bruyante. Ils doivent être éparpillés partout : à Berlin, où j'habite, à Tokyo, Los Angeles ou New York ; le monde entier pourrait être couvert d'un réseau encore plus étroit de ces zones de calme, devenant des niches artistiques écologiques pour chacun.

On devrait y avoir accès à des moments précis et avoir le droit d'y entrer seul. Selon moi, le simple fait que des zones de tranquillité existent peut aider à calmer ce monde. Les lieux de quiétude ne sont pas nécessairement acoustiquement silencieux ; ils peuvent, au contraire, être bruyants ; ils sont donc tranquilles à une échelle différente. Au sein de la Société pour l'Art Actuel à Brême, en début d'année, j'ai fait mes premiers pas vers ce genre d'espace. Musique de Chambre n°1 en était le titre : une petite pièce vide à l'exception de deux colonnes blanches rectangulaires surmontées d'enceintes. Les enceintes étaient dirigées vers le milieu de la pièce, devant il y avait une chaise où l'on pouvait s'asseoir et, avec la musique dans son dos, regarder, à travers les fenêtres, le Pont Weser avec toute sa circulation et le fleuve. Dans ce cas, la musique était très importante, si importante que l'on n'était pas sensé se concentrer dessus, et l'on avait d'autant plus de raisons de regarder à travers la fenêtre. La musique émanant des deux enceintes fusionnait au niveau du cou de l'auditeur, et il le sentait précisément à cet endroit.

Je réfléchis à d'autres lieux de ce type, certains sans fenêtres, des pièces contenant une seule oeuvre : une plaque de fer flottante, par exemple, qui semble flotter à travers la musique, flotter calmement. Je réfléchis à des endroits dans lesquels on peut se retirer seul, des pièces qui créent une ambiance de silence, mais pas un silence stupide.. comment dire.. un silence actif, une sorte d'état de suspension, de quiétude.

Il y a plusieurs oeuvres que je pourrais confier à de telles lieux, de simples textes peut-être, ou des pigments jaunes et bleus, ou des enceintes qui respirent..

 

Rolf Julius, 1987