Masahide Otani - Setting a painting

Setting a painting désigne une série de monochromes blancs, au format rigoureusement identique, 1m par 1m. Au premier regard, aucun signe ne semble y affleurer.
Degré zéro, mutisme de la page vierge : en voilà déjà suffisamment pour inscrire la série dans une certaine histoire de la peinture abstraite, préoccupée par les données strictement matérielles de celle-ci, questionnant sa présence physique dans l'espace et son rapport direct, frontal avec le regardeur.
Pourtant, il suffit de décaler quelque peu le regard, pour entrevoir une multitude de petites taches sur les tranches des tableaux et tout autour, sur le mur où ils viennent se placer. On distingue des empreintes digitales, des traces de mains sales : autant d'indices que quelque chose a eu lieu. Le monochrome blanc se fait pièce à conviction. On devine alors que le vrai sujet de Setting a painting est, comme son titre l'indique, un geste. Non pas le geste expressif de la création mythique, mais celui, beaucoup plus prosaïque, de l'accrochage. Un geste, ou plutôt une succession de gestes, d'ordinaire invisible qui forme la condition nécessaire pour qu'un objet, une toile tendue sur un châssis, puisse finalement retenir notre attention, appeler notre regard et notre considération ; pour que cet objet devienne précisément une peinture.
En figurant le geste qui va nous faire voir, Masahide Otani interroge de fait le statut de ce que nous regardons. Ce n'est pas accrocher LA peinture mais UNE peinture, n'importe laquelle, qui intéresse l'artiste. Elle se réduit ici au rang de restes d'une performance, presque un accessoire. L'oeuvre pourrait ainsi être rapprochée des célèbres Surrogate Paintings  d'Allan McCollum, ces « peintures de substitution » - en réalité des moulages en plâtre - que  l'artiste américain a réalisé en quantité astronomique.  A ceci près qu'à la différence de McCollum, la série de Masahide Otani est relativement restreinte (5 tableaux) et que c'est ici le deuxième accrochage. Aux traces laissées par son exposition bordelaise se mêlent ainsi celles de ses monstrations plus anciennes. Sous cet aspect, les peintures s'entrevoient comme autant d'objets rituel que l'artiste trimballe d'un lieu à l'autre et qui vont venir exhiber leur mémoire.

En rendant visible tout le protocole, Masahide Otani semble nous enjoindre à oublier ce qui se joue dans l'espace délimité du tableau pour révéler tout ce qui se passe autour de lui, à la marge, dans son « paratexte » pour filer une métaphore littéraire. En somme de ne pas se concentrer sur ce qui est dit mais sur les conditions d'apparition du message.

La peinture n'est plus une affaire de signes mais de situation.

 

Paul Bernard