Nicolas Garait-Leavenworth - Not titled yet (Clifton's)

 Commissariat : Paul Bernard

 

NOT TITLED YET (CLIFTON'S)

05/07/2012 - 16/09/2012

 

Les deux séries de Nicolas Garait-Leavenworth présentées ici révèlent le rapport que l'artiste entretient avec les fantômes de la culture, entendue ici au sens large, et comment ceux-ci n'en finissent pas de nous hanter pour venir s'immiscer partout, jusque dans le politique, l'urbanisme et l'être ensemble.

« Tout serait brun, ocre, jaune : un univers de couleurs un peu passées, aux tons soigneusement, presque précieusement dosés, au milieu desquelles quelques taches plus claires surprendraient le visiteur. »

La série de compositions abstraites Not Titled Yet, entamée en 2005, reprend le principe du photogramme pour l'appliquer à la couleur. Dans le noir absolu de studios photos loués à l'heure, l'artiste manipule le papier sous l'agrandisseur tout en jouant du temps et des filtres colorés. On perçoit bien sûr des airs de famille, des clins d'oeil évident aux peintres colorfield et leur progéniture. Ils apparaissent comme autant de souvenirs picturaux, d'images papillons venus se fixer sur la mémoire. Mais au-delà de la référence, on devine surtout une certaine jubilation : d'abord celle offerte par les possibilités infinies de variations chromatiques, ensuite par la liberté de la sélection et de l'accrochage, faire et défaire les séries, contraindre les agencements évidents et venir dessiner d'autres constellations. Not Titled Yet : les titres restent à écrire, et c'est au fond à nous qu'il revient de se projeter mentalement dans ces souvenirs écrans, pour rêver ce qu'ils peuvent receler.

« Si le sens du souvenir est peut-être la constitution, ou du moins l'invention de la mémoire, le sens de la collection est l'oubli, la possibilité de recommencer de telle sorte qu'un nombre fini d'éléments crée, du fait même de leur configuration, une rêverie infinie. »

En vis-à-vis, six caissons lumineux présentent autant de photographies réalisées à la cafeteria Clifton's, découverte par hasard par l'artiste alors en résidence à Los Angeles. Conçu en 1931 au moment de la Grande Dépression, le lieu est un summum du kitsch et du décoratif, loin des images stéréotypées du Los Angeles façon Sunset Boulevard. On en parle alors comme d'un petit parc d'attraction sur deux étages où l'on vient en famille, avec une fontaine à limonade, des cerfs empaillés et même une mine à sorbets. Mais situé dans le Downtown malfamé, la cafeteria tient également lieu de point de ralliement pour les nécessiteux, autorisés à ne payer leur repas qu'à la mesure de leurs moyens*. Tombé peu à peu en désuétude, Clifton's fut finalement racheté en 2010 par un promoteur immobilier, celui-ci ayant dans l'idée d'en faire un lieu branché : boulangerie française et nourriture bio, les clochards en moins. Ce n'est pas tant l'histoire du lieu qui intéresse Garait-Leavenworth que cette façon très particulière d'envisager le patrimoine sous l'angle de la gentrification. Il y a du cynisme dans cette rénovation qui, à en lire les déclarations d'intention du nouveau propriétaire, souhaite rendre hommage à « l'esprit de la vision originale de Clifford Clinton » mais ne fait, au fond, que transformer la mémoire des lieux en décor de night-club.

« Transporter les gens dans un monde d'imagination, de rêves et d'étrangeté, loin des problèmes qui nous l'espérons sont laissés à la porte un instant. »

Prises quelque temps avant la fermeture pour travaux, les photographies laissent entrevoir ce qui formait alors la toile de fond du café, avec ces caissons lumineux brûlés par les années, représentant les grands espaces californiens. Autant de scintillements d'une culture vernaculaire, d'une Californie de cabaret que l'on pourrait rapprocher des fantasmes que nourrissait l'Ouest américain dans les pires années de la Crise. En vibrant à nouveau sur les néons, les images donnent une idée de l'ambiance particulière qui baignait la cafeteria. Somme toute, c'est encore la lumière qui travaille l'artiste : une lumière jaunâtre, incertaine, crépusculaire, quasiment à l'opposé des affirmations colorées qui lui font face.

 

Paul Bernard

 

* et l'on ne sera pas surpris d'apprendre que Clifton's figure dans les lieux de passage du Kerouac de Sur la route.

Les citations sont tirées du livre Understanding through Peace de Nicolas Garait-Leaenworth,  d?un texte d'Allan McCollum consacré à Allen Ruppersberg et de la documentation promotionnelle du nouveau Clifton?s.

Nicolas Garait tient à remercier tout particulièrement Dorna Khazeni et Guillaume Landron

Avec le soutien de l'Institut Français (lauréat Villa Hors les Murs 2010)