La galerie a ouvert ses portes avec une exposition de l'artiste japonais Masahide Otani (né en 1982), dont la pratique de sculpteur est traversée par les notions d'absence, de silence et de temps. Figures du vide rassemble une quinzaine de moulages et dessins, qui sont autant de méditations autour d'une image : une photographie prise par l?artiste dans un village abandonné dans les alentours de Fukushima. Une réflexion plastique autour de la disparition qui emmène l?artiste vers les thèmes de la vanité ou de l'autoportrait.
C'est une grande pièce blanche. Une grande pièce blanche dans un jour blanc. Où regarder. Cherche des repères, tourne et regarde, mais on ne voit rien. Ne se distingue pas. Comme du brouillard étiré au travers des fibres, du coton peut-être. Des traces, de pas ou de doigts, comme salis sur une feuille, blanche encore, traces de présence mais absente : vide insistant, persistant, comme la forme de l'air une fois que le vase est brisé. Je regarde mais est-ce que c'est moi, le bout de mes doigts invisible, marche dans du blanc, avance, rien, même pas le sol dérobé, et le bruit autour de mon corps disparu. Comme dans un avion, au moment où on traverse, le nuage écrasé par le bruit, je n'y suis plus, je ne vois plus, rien, plus rien et des images, sur la toile blanche, comme au-travers d'une vitre, dépolie la surface des choses et derrière la fenêtre : des chiffons, objets, quelqu'un s'en est servi, sans doute, il n'y a pas longtemps, ils sont sans doute encore là, j'appelle, un cri blanc, pas un cri non, pas âme qui vive dans le blanc, c'est ça la mort sans doute, la mienne, comment savoir il faut s'approcher je regarde et c'est une table peut être ou un plateau des tréteaux tremblants et une forme dessus une tête sans doute la mienne mais comme emballée ma tête de mort je ne peux pas là voir elle attend mais quoi exactement muette elle regarde de ses yeux bouchés comme sur la table saint jérôme lit un livre je n'arrive plus à déchiffrer une tête de mort un crâne dégarni tous les deux luisent mais lequel est le plus vivant des deux ces phrases illisibles pour l'éternité, oui, rien que ça l'éternité, mais qu'est-ce qu'il en reste, et des traces les gros doigts du saint tracent des mots, ou ceux d'un copiste, sur la page tachée, gravée plus qu'écrite une phrase c'est la main qui disparait quand on la lit ; elle s'efface, comme reprise par une grande main blanche engloutie, j'avance et il ne reste que le visage blanc du mur, sa figure, illimitée, non, indifférenciée, ou étirée, comme une peau. Ou pendante, écorchée à bout de bras saint barthélémy ou michel-ange on ne sait plus, c'est un autoportrait parait-il, un suaire, c'est ça : peindre, un suaire immaculé on y verra ma face mais comme échappée, déjà plus la mienne, avalée par le drap blanc, on dira dessus tout ce qu'on voudra. En-dessous se retire immaculée, elle me laisse dans le blanc, j'attends et j'écoute, toujours ce blanc assourdissant, comme bouché. Long et sourd, comme un moteur, un réacteur, il va exploser peut-être ; tourne et c'est le silence écrasé, le blanc au-travers des nuages, c'est ça, un bruit blanc : le bruit du silence, tout simplement, j'ai mal aux oreilles d'entendre ça, mais il faut écouter, quelque chose sera dit. Un murmure, révélation, c'est une apocalypse, ou bien après l'apocalypse, oui, rien que ça, et les trompettes qui n'en finissent pas, résonnent. Vibrent, dans le silence, ou l'écho de rien. S'effacent impermanentes. Comme le son de la cloche, du monastère de gion, résonne mat. Avance. C'est une grande pièce blanche.
Guillaume Condello