Anita Molinero excelle dans les titres d'exposition autant qu'elle aime donner des « petits noms » à ses oeuvres. En intitulant sa nouvelle exposition « La Grosse Bleue », elle fait coexister ode moderne à la couleur et familiarité de langage.
L'artiste présente sa deuxième exposition personnelle à la galerie Thomas Bernard - Cortex Athletico à Paris, mais elle développe depuis les années 1980 une oeuvre sculpturale extraordinaire conjuguant rebut, altération et genèse archaïques. Personnalité forte pour qui le polystyrène évoque aussi bien un noble produit du raffinage industriel que la célèbre leader Poly Styrene (1957 - 2011) du groupe X-Ray Spex.
Contemporaine de l'icône punk, Anita Molinero esquisse en effet les rudiments de son oeuvre dans un contexte en vrac, crise pétrolière, enlisement de la gauche prolétarienne et redéfinition des institutions universitaires et psychiatriques où les catégories telles que l'émancipation et la contradiction sont si magnifiquement complexes qu'elles ne sauraient être trop simplement assujetties à un système morale binaire et figé.
La Grosse Bleue rassemble différentes oeuvres dont la fonctionnalité (cuve, socle, mousse) et l'altération (déformation, défiguration) sont quelques-unes des occurrences. « La Grosse Bleue » est aussi le petit nom qu'elle avait donné à une cuve industrielle qui lui tenait fidèlement compagnie dans l'atelier. Après l'avoir découpé et en avoir brutalisé les multiples « peaux » (selon les mots de l'artiste), elle l'installe à l'entrée pour accueillir les visiteurs de la galerie. Se succèdent alors une suite de « croûtes » - succession de tableaux oscillant entre transformation et défiguration - et enfin un étrange diptyque, un duo en ronde bosse en hommage à Degas. Plus brutal que les ballerines de cire et tissu, Anita oppose socle et figure informe, bronze et plastique fondue. Dès le milieu des années 1980, elle récupère des matériaux industriels et fonctionnels qu'elle découpe et déchire. Elle emploie alors la mousse, le carton et le plastique, boîtes et bidons pour empiler, relier et redresser des formes qu'elle habille de faux skaï ou de tissus naturels, hypothétiques réemplois de sac ou robe trouvés dans la rue (Sans titre, 1992 ; Robe, mousse, carton, 70 x 25 cm. Sans titre, 1989-1995 ; Mousse, bidon, tissu).
Dans ce jeu entre abstraction et anthropomorphisme, elle s'inscrit dans une histoire post minimale de la sculpture. Par l'emploi de matériaux et outils industriels Anita Molinero est surtout une artiste qui puise dans un contre-fonctionnalisme pour parvenir à produire des formes primitives traversées d'un vitalisme. Dans ce continuum singulier reliant destruction et fétichisme, abjecte et sublime, une résille en plastique fondue devient une vénus ; et une plaque de mousse brulé et peint, un reliquaire séculier.
Julien Fronsacq, mars 2017
Vernissage en partenariat avec la Fondation d'entreprise Ricard.