Richard Baquié (1952-1996)
Vingt ans après
La figure de Richard Baquié apparaît en plein milieu d’un siècle qui réinvente, après le verdict de Marcel Duchamp et l’investigation d’un nouveau continent anthropologique, la notion d’objet sculptural. La fin de l’ère de la mécanisation, la réévaluation des pratiques vernaculaires, la présence de l’immense chantier que constituent les suites de la guerre, l’extinction de l’industrialisation, les répercussions du consumérisme, conduisent les artistes à explorer, en particulier au travers du Pop Art aux USA, du Nouveau Réalisme en Europe, un champ où la sculpture redéfinit ses moyens, se libère des conventions usuelles pour venir s’abreuver à toutes les ressources visuelles, formelles, allégoriques, imaginaires, issues de ces décombres. Chacun travaillant spécifiquement à dépecer, dénombrer, sélectionner les différentes composantes d’une Vanité à la mesure d’un monde révolu.
Dans ce paysage d’éclipse et de relevailles, à la fois stimulant et funèbre, Richard Baquié saura, avec un sens inné de la poésie des choses, un ton à la fois léger et mélancolique, désenchanté et tendre, introduire une dimension narrative, sensible, sentimentale et biographique, qui le sauvera de toute banalité, contribuera à renouveler de fond en comble la perception de cet univers de vestiges et à lui redonner miraculeusement vie. Artiste intuitif et lucide, il ne négligera rien des différentes étapes qui avaient permis à la sculpture de s’affranchir de la lourde tyrannie de ses habitudes et de ses processus techniques. Dans une vision interdisciplinaire, décloisonnée, qui préfigure les modes déconstructifs de l’installation, qui rappelle parfois, mais sur un ton élégamment désinvolte, les pratiques de l’Arte Povera, il se plaît à faire cohabiter et dialoguer le son, la lumière, le cinéma, la photographie, le mouvement, l’eau, l’électricité, et les matériaux les plus disparates… Toutes ces structures, tous ces assemblages, se jouent avec une virtuosité désarmante, un sens ludique constant, de la diversité de leurs amalgames délibérément composites, affichant une prédilection pour la fragilité de processus issus de la récupération et du bricolage.
On peut considérer la production de Richard Baquié, ainsi qu’en témoigne sa dernière réalisation, « Réplique sans titre n°1 de l’Etant donnés… »*, simulacre d’un simulacre, à savoir l’ultime message de Marcel Duchamp, comme une répartie joyeuse et impertinente à celui qu’elle se reconnaît pour géniteur et comme une invite à en déjouer l’ironie intimidante. Si l’inquiétude viscérale de l’artiste, sa perpétuelle insatisfaction, ne peuvent pas ne pas nous apparaître comme le pressentiment d’une disparition trop tôt menaçante, loin d’en être tronquée ou diminuée, son œuvre trouve aujourd’hui dans ses intuitions un surcroît de pertinence et de vitalité.
Henry-Claude Cousseau
Août, 2017
* Cette oeuvre figurait dans l'exposition Dioramas, Palais de Tokyo, Paris, 2017, commissariat : Claire Garnier, Laurent Le Bon, Florence Ostende.