Prosper Legault - Sans titre, techniques mixtes, dimensions variables

« Vivre dans la ville c'est comme vivre dans une bande dessinée »
Deux ou trois choses que je sais d'elle,  Jean-Luc Godard, 1967

Des oeuvres de Prosper Legault, on repère d'abord le signal, celui qui était déjà là pour capter notre regard dans la ville, bien avant que l'artiste ne vienne l'arracher des devantures. Les oeuvres se composent de panneaux, menus, logo, enseignes, cartes, poubelles, et viennent faire valser les néons. Les formes sculpturales s'auto-définissent par les objets qu'elles intègrent. « Sans titre, techniques mixtes, dimensions variables », c'est le cartel qu'on pourrait facilement imaginer sous chaque oeuvre de l'artiste. Des formes hybrides, batardes, qui fonctionnent par assemblages de signaux et finissent par perdre leurs valeurs sémantiques pour devenir des sculptures. 

« Vivre dans la ville c'est comme vivre dans une bande dessinée », des successions vitesse-grand-V de séquences narratives qui brouillent le regard jusqu'à ce que le citadin, noyé par les images, deviennne aveugle. Il y a néanmoins ceux qui continuent à fixer les signes avec une fascination presque infantile. C'est cela que l'artiste porte au regard : le décor urbain en mutation. Il faut aller vite, repérer la prochaine enseigne qui menace d'être remplacée. On pourrait qualifier la pratique de Prosper Legault de frénétique. Il déambule dans la rue comme un peintre chez Sennelier, retourne à l'atelier, assemble, soude, déconstruit, reconstruit, à la vitesse d'une grande ville. Il ne s'agit pourtant pas d'une esthétique du bricolage. Les oeuvres prêtent à sourire, on se prend aux jeux de mots composés par l'assemblage d'enseignes, « rébus de rebut » comme dirait Prosper, puis on finit par admettre la qualité autonome et esthétique des pièces, toujours justes et des finitions, souvent passées au marbre. La désinvolture d'un geste punk orchestré par la rigueur d'un soudeur. 

 

Ces enseignes parlent d'un Paris. Paris nord, de Saint-Ouen, de Boulevard Ney à la Goutte d'or, Marx Dormoy, Château Rouge. Le Paris des enseignes de Ramen qui se juxtaposent aux massages avec finitions. Celui où les commerces de nuit illuminent les rues lorsque tout le monde dort. Ce sont alors les néons qui prennent le relais, la nuit tombée, ceux-là même que l'on retrouve dans les compositions de l'artiste. Ces alimentations générales le fascinent, la série « Génération Alimentale » évoque ce rapport. L'anastrophe dépouille le mot, c'est cela dont parlent ces oeuvres, des signes vidés, une génération qui habite la ville en quête de sens, une bande-dessinée à l'envers, un monde qui continue de tourner quand tout le monde dort.

Camille Gouget