Chaval, Léa Le Bricomte, Pierre Molinier, Présence Panchounette - Paris-Bordeaux
Dans le prolongement de l'exposition "Paris / Marseille", le projet "Paris / Bordeaux" explore avec subjectivité une autre position artistique marginale française. Bordeaux, ville insulaire, construite et structurée par une bourgeoisie puissante, a sous ses abords su recevoir d'elle-même une image chahutée, portée par des artistes à la critique acerbe.
 
Le principe d'irrévérence dans ce projet est large : il tient à la fois d'une impudence quant à la structure sociale de la ville, mais aussi d'une défiance vis-à-vis d'un pouvoir central. Ainsi, lorsqu'en 1969, 4 amis se regroupent pour écrire l'Internationale Panchounette, il s'agit autant de convoquer Debord que de poursuivre le projet absurde des Incohérents dans une critique sociologique de l'art et de son milieu, deux ans après les trois premières manifestations de BMPT et leur programme autoritariste parisien. L'oeuvre "PP est de Bordeaux comme Dada est de Zurich" revendique un ancrage territorial, et exprime ouvertement le désir de parler au monde depuis Bordeaux, comme le Cabaret Voltaire avait pu le décider en réunissant en 1916 de "dangereux anarchistes" autour d'Hugo Ball en pleine première guerre mondiale pour s'exprimer depuis la Suisse, neutre dans le conflit. Les deux autres oeuvres "Comédie" et "Congo Go" sont elles aussi de cette même veine, jouant par constructions simplistes d'une irrévérence à l'égard de la peinture (la montée à l'échafaud de la peinture elle-même dans la ville des Girondins) ou des artistes conceptuels de leur époque ("Less is less, more is more"), eux-même coincés par une suprématie américaine.
 
Cette satire inconvenante d'un système n'est pas le monopole de Présence Panchounette, et d'autres figures avaient déjà et auront le désir hardi de bouleverser certains codes. C'eût été le cas de Chaval dont les dessins satiriques moquaient une société bourgeoise dont il était lui-même issu. Tout comme son contemporain Alphonse Allais, membre des confréries Fumistes, Hydropathes ou Hirsutes, Chaval va caricaturer le quotidien d'une société qu'il trouve hautaine, sérieuse et arrogante. Le dessin XXX, est en lui-même une moquerie du rapport de l'artiste à son modèle et au pouvoir, en l'occurrence un gendarme, bas niveau de l'échelle d'autorité, figure guignolesque du pouvoir.
Pierre Molinier (M le Maudit) menait quant à lui son existence à rebours de toute convenance, cherchant à déranger ce conformisme provincial tout en bousculant un André Breton dont les certitudes lui semblaient suspectes. Soigneux de son indépendance, ses autofictions érotico-pornographiques auront toutefois une reconnaissance locale de la part d'une élite qui s'encanaille, et le personnage Molinier sera rapidement incontournable, recevant les visites de Jacques Chaban-Delmas, et obligeant même la ville de Bordeaux durant le mandat d'Alain Juppé à baptiser une place de Bordeaux à son nom.
 
L'oeuvre de Léa Le Bricomte, Dripping Medals, reprend comme breloques une série de médailles dont les rubans allongés évoquent la "grande peinture américaine". Cette pièce, présentées à la Galerie La Mauvaise Réputation (dont l'attachement à l'impertinence est une signature dans la ville de Montesquieu, de Mauriac et de Montaigne), considère cette ultra présence américaine dans notre histoire de l'art récente comme un colonialisme improbable et contestable, portée par Jackson Pollock, héros red-neck aux relents réactionnaires (A ce sujet une parodie d'un dripping de Pollock est présent dans la pièce de Présence Panchounette : "Dans chien il y a niche et dans l'homme il y a HLM")
 
Toutefois, il ne s'agit pas dans ce projet de malmener cette ville, mais bien au contraire considérer que ces insolences ont reçu leurs accueils bienveillants. Ainsi, derrière ses façades 18 èmes et son étiquette parfois bornée, Bordeaux a su accueillir ces positions et c'est peut être aussi cet environnement qui permit l'existence du Festival Sigma, la création du CAPC, et l'émergence de quelques structures, voire de galeries.