Benoît Maire - 1929

1929, c'est la crise ?

En fait je souhaitais un titre qui soit une année, je lisais le premier roman d'Alberto Moravia, intitulé « les indifférents », et comme il a été publié en 1929, je me suis dit que c'était une raison suffisante pour choisir cette année. Sinon je joue sur une ambiguïté entre la référence connue : 1929 = la crise, et ma réelle motivation concernant le titre de cette exposition, qui en fait pose plutôt l'égalité : 1929 = les indifférents. Dans l'Histoire, je préfère souligner les faits mineurs, que s'est-il passer d'autre en 1515 que Marignan ? De plus entre 1929 et maintenant, il y a l'espérance de vie d'une femme.  

Votre travail est nourri de références savantes liées à la littérature, l'histoire, l'histoire de l'art, la philosophie, la psychanalyse, les mathématiques ? Quelle place occupent la connaissance et la théorie dans le processus de création ?

C'est impossible de faire de l'art à partir de rien. Que les hommes dessinent sur les murs ce qu?ils veulent manger, qu'ils allégorisent la mythologie, qu'ils représentent les histoires sacrées liées aux religions, les faits historiques ou tout simplement le paysage, ils sont toujours en cheville avec des référents pour former leur objet. Ce n'est que pendant la modernité que l'art finalement s'intéresse à lui-même, qu'il fait ce retour sur son essence, c'est alors l'époque du formalisme tel que Greenberg le théorise. Je schématise, mais en gros dans l'époque actuelle, que je conçois toujours comme postmoderne, la question de l'objet de l'art est au centre du débat. Pour moi il faut alors un objet fort qui soit en dehors de l'art lui-même, c'est pourquoi je suis en relation avec des références. Ce qui fait un artiste, à mon sens c'est son objet, et il le construit tout comme il est construit par lui. Pour le dire en deux mots, le mien c'est l'affect lié au concept, ce qui produit en général des images, que ce soit un texte, une sculpture ou une performance etc? on est toujours dans le registre d'une image qui montre son fonctionnement interne, c'est-à-dire son processus allégorique. Il y a donc beaucoup de nudité dans mon travail en définitive.


L'exposition 1929 se réparti dans trois salles de la galerie, il s'agit d'une certaine manière de trois expositions en une.  Prolégomènes à toute image pliée donne à voir des sérigraphies d'images antiques sur plaques d?aluminium qui se replient sur elle-même, Le salon de Ferenczi représente l'environnement d'un cabinet de psychanalyste et Le coin de la Méduse une sculpture en bronze de la tête de la méduse qui contemple sa propre image. Les oeuvres semblent questionner la notion d'un travail sur soi à travers le principe du reflet ?

Oui, toutes ces images parlent des narrations qui forment la constitution du sujet en occident. Après la fin de la fin des récits : encore des récits. Encore des récits, ou pire des récits.

Au CAPC, juste en face de la galerie, est accroché dans le cadre de l'exposition Trahison un monochrome noir issu de votre série La coulure Constance Mayer. Les oeuvres réunies dans cette exposition ont pour point commun d'être ultra référencées et de développer un sens qui ne s'y donne jamais entier. C'est une des caractéristiques fortes de votre travail?

Le sens ne se donne jamais en entier par définition, car il insinue une herméneutique, qui est processus d'interprétation. Il s'oppose ainsi à la littéralité de l'information. C'est alors la question de la référence qui revient, une oeuvre d'art très référencée, pour être appréciée ne demande pas forcément une totale maîtrise de la référence par le regardeur, ni même par l'artiste. Une référence c'est un point de départ, l'incise sur un objet extérieur qui va être traitée et lue dans le cadre de la production d'un travail. Une référence ce n'est pas l'objet, l'objet de l'art se construit en événement au carrefour d'une référence, d'un corps et d'un matériau. Mais une référence est toujours déjà liée à un corps, un matériau et une date, c'est sans fin. Bon, je suis déjà un corps, c'est sûr.  

Dans les fictions que vous construisez autour de vos oeuvres, il est souvent question d'amour impossible. Il y a quelque chose également de romantique à venir s'abîmer dans la connaissance ?

Ok la connaissance est impossible, en revanche  l'amour est toujours possible, c'est du fait qu'il ne se réalise pas qu'il est possible, sinon juste « il serait ». L'amour n'est pas de la même essence que l'être, il se tient justement de sa possibilité. La connaissance n'a d'intérêt que pour les affects qui lui sont liés, en soi elle est aveugle.