Qu'est-ce qui fait la réalité de la réalité ? La photographie peut nous aider à le comprendre, en tant qu'elle est un index du réel, un témoignage du « ça a été ». Mais elle le peut aussi, et peut-être même plus, par contraste, en tant qu'elle est une image construite. La fiction nous apprend parfois mieux ce qu'est la réalité que la réalité elle-même, lorsqu'on fait la part de ce qu'elle lui emprunte et de ce qu'elle lui laisse.
Dans la série de photographies 3199 LM MAASVLAKTE de Nicolas Descottes, prises quelque part dans la zone industrielle de Rotterdam, certains aspects présentent un caractère bien réel : les événements ont manifestement eu lieu. Il y a eu du feu, de l'eau, de la neige carbonique. Les matériaux ont bien brûlé comme l'indique le fer redevenu blanc de la citerne (épreuve n°1). Les événements ont produit des traces, ce qui rapproche cette série de celle des Burns, réalisée par Nicolas Descottes en 2002. Ici aussi le feu a transformé les choses, laissant des indices qui invitent à déduire toutes sortes de drames, mais dont les photos ne disent rien.
Et pourtant, il y a précisément trop de traces, trop d'eau, trop de neige pour lutter contre des feux trop nombreux pour que l'on puisse croire à ces catastrophes. Elles ne peuvent toutes être survenues dans ce même endroit. La série des événements est improbable.
En outre, certains détails manquent de réalisme pour constituer une fiction. Alors qu'un décor de film ou un parc d'attraction par exemple ne manqueraient pas de parfaire l'illusion, elle est ici déficiente : aucun contexte singulier n'est vraiment signalé, empêchant de situer les scènes précisément dans l'espace et dans le temps. Les objets sont construits de manière négligée au point de nier leur fonction même : l'hélicoptère a une hélice minuscule (épreuve n°13), l'avion est sans queue (épreuve n°3), on ne peut croire qu'ils aient volé un jour.
C'est que, contrairement au rapport qu'entretiennent habituellement la réalité et la fiction, où la fiction a les propriétés du réel sans l'existence, dans les photographies de la série 3199 LM MAASVLAKTE, la fiction est devenue effective ; ce qui la distingue de la réalité, ce sont les éléments faisant défaut à la fonction des objets.
A l'opposé d'une fiction réaliste qui soigne les détails aux dépens de l'existence, ces images proposent une réalité fictionnelle, au statut ontologique intermédiaire entre la fiction et la réalité, où les choses ont bel et bien eu lieu, mais sur un mode étrange.
Or, cette étrangeté du réel n'est-ce pas ce qu'une partie de la photographie depuis ses débuts s'est chargé de révéler ? La photographie n'exhibe-t-elle pas ce qui dans le familier n'est pas familier ? Grâce au caractère de chose fabriquée qui lui est essentiel, comme y insiste Yves Michaud dans le catalogue de l'exposition Covering the Real (Kunstmuseum de Bâle, 2005), cette technique a la capacité de souligner ce qui dans le réel ne va pas de soi et mérite d'être interrogé. Avec la série 3199 LM MAASVLAKTE, la photographie redouble la fabrication d'une réalité dont la fonction est à imaginer.
Vanessa Morisset