Pierre Clerk, Andreas Fogarasi, Benoît Maire, Charles Mason, Damien Mazières - Fiac 2009

Through A Glass Darkly
 Zoë Gray

Le travail de Charles Mason reste fermement ancré dans le domaine de la sculpture. Même lorsqu’il présente au mur des dessins ou des photographies il donne priorité à la délinéation de l’objet dans l’espace. L’équilibre, le poids et la matière sont des notions essentielles dans son travail, ils définissent l’expérience de ces objets. Durant une visite d’atelier pour voir ses sculptures les plus récentes, l’artiste confia avec une jubilation non déguisée «elles sont presque impossibles à photographier, tu sais». Les œuvres en question – Stay, Dummy et Stepping Lightly (toutes de 2009) – sont en effet troublantes pour celui qui les regarde, et même pour leur créateur, qui déclare ne pas être capable de se rappeler exactement à quoi elles ressemblent une fois loin d’elles. Chacune intègre une grande feuille de Plexiglas translucide gris foncé. Ce n’est pas la première fois que Charles Mason utilise un matériau d’une telle importance, sa pièce de 2008 In the loop emploie une feuille similaire pour diviser, soutenir et refléter une forme serpentine en béton creux. Comme pour Stay et Dummy, le travail oscille entre l’espiègle et le déconcertant. Sa structure en échafaudage renforcée de mousse polyuréthane gris charbon, nous attire à la fois comme une aire de jeu et nous repousse comme un panneau  d’interdiction sur un chantier en construction. Les matériaux que Charles Mason emploie ici pourraient en effet directement sortir d’un chantier, peut-être d’un magasin ou d’un appartement en rénovation. En plus du Plexiglas, et de la structure en échafaudage, apparue fréquemment dans son travail depuis 2001, ces nouvelles pièces d’humeur industrielles-chic se composent de boulons à têtes brillantes en forme de dôme, de mousse, de béton et de tuiles cassées. Cet Arte Povera du 21e siècle, apparaissant – comme le fit le mouvement original - dans un moment de crise financière et d’incertitude politique, utilise les matériaux qui font référence à notre environnement construit : ils sont immédiatement identifiés mais loin de l’utilisation habituelle que nous en avons.

Les travaux précédents de Charles Mason adaptaient souvent des morceaux de meubles trouvés, par exemple, des cadres de table et des dossiers de chaise. Il donne à ses sculptures les plus récentes leur autonomie sans besoin d’une quelconque structure externe. L’élément « construit » de son travail se développe. Et sa variation sur des objets domestiques a changé d’une manière plus architecturale, bien que la référence à l’échelle humaine soit toujours perceptible et les travaux clairement conçus - et conçus pour être éprouvés - par rapport à une personne se déplaçant autour d’eux. L’artiste a parlé de sa propre appréhension lorsqu’il est face à ses constructions récentes. Leurs imposantes feuilles de Plexiglas foncé se réfèrent indirectement à nos vies vécues de plus en plus à travers l’écran. Les formes articulées et courbes de Stay et Dummy peuvent être regardées à travers cette matière fortement industrialisée, ce plastique fait de plusieurs litres de pétrole nous repoussant comme un bouclier, nous montrant notre reflet inconsistant au sein de l’œuvre, déformant notre perception de la réalité et engendrant une manière de regarder très particulière.

Dans la tradition de la Sculpture Minimaliste, les couleurs de Mason viennent des matériaux composites de l’œuvre, l’absence de couleur supplémentaire soulignant les textures. Charles Mason est pleinement conscient de la manière dont l’œil se déplace à travers une surface et a recouvert les éléments de ces trois sculptures de mosaïques de faïences brisées monochromes, une manière supplémentaire de déplacer le point de vue fixe et central. La mosaïque éclatée complexifie la surface lisse, la transformant en un patchwork de formes déchiquetées reflétant la lumière dans toutes les directions. À la différence du Plexiglas cependant cette matière porte en elle un parfum de kitsch que Charles Mason exploite comme un clin d’œil entendu à la sculpture publique, aux créations de Gaudi, ou même aux dallages insensés et irréguliers des carrelages faits maison. En fait, Charles Mason a commencé à utiliser ce type de finition carrelée après une visite en 2005 à la Maison Picassiette de Chartres dessinée par Raymond Isidore, le type même de l’architecture naïve.

Dans plusieurs pièces, Charles Mason renforce la rencontre entre doux et rugueux, non seulement par les finitions employées mais aussi par leur apparente pesanteur défiant les formes même. Alors que dans Stay et Dummy la structure de base devient une partie importante de l’œuvre elle-même, dans Stepping Lightly notre curiosité est titillée par un difficile équilibre type flamant rose. Cette pièce coquette admire son reflet dans un morceau de Plexiglas posée contre le mur; elle tient sur une tige au bout de laquelle une roulette effleure le sol. Cependant, nulle part dans l’œuvre de Charles Mason cette apparente contradiction entre « truth to materials» et l’artificielle tromperie n’est plus claire que dans la Rock (2009). Bien que faite de béton et nommée ensuite la plus immobile des formes naturelles, une fois touchée la pièce oscille doucement  entre les deux sens. Trouvant son inspiration de sources aussi diverses que les constructions du Corbusier à Chandigarh ou le béton ‘de roches’ qui encercle les pauvres créatures des zoos, cette forme étrange, semblable à une écorce, évoque une architecture quasi-organique. Épuration des lignes, lisse à l’intérieur et rugueuse à l’extérieur, sa forme et sa texture révèlent le processus de sa fabrication. Taillée d’abord dans le polystyrène, elle a été couverte d’une peau sur laquelle le béton est ensuite posé suivant une technique précise qui transforme la surface en une sorte de coquille d’œuf. Revenant à ses dessins antérieurs d’espaces intérieurs dessinés à la surface de conteneurs et aux muraux virtuels esquissés sur les façades de bâtiments (Untitled, 2005 pour les deux exemples), ce travail illustre avec éloquence le désir de Charles Mason de dévoiler la structure cachée des formes. «Il y a tant de matière sous la surface d’une sculpture» explique-t-il, «que j’ai voulu que la surface elle-même soit la structure».

Rock  poursuit la démarche de Charles Mason de travailler sur une échelle «  humaine » mais l’invitation à entrer dans la sculpture est plus forte que jamais. Une ampoule allumée brille à travers un Plexiglas opaque et laiteux,  inondant l’intérieur par l’une des deux «artères». C’est une étape survenue en 2009 suite à Model for Mood Altering Public Sculpture (SAD version), une œuvre proposant une structure dans l’espace public qui pourrait «rendre quelque chose» à son environnement et à son public. Tant dans Model que dans Rock la projection littérale de lumière neutralise nos usuels besoins de «projections» mentales sur la pièce. Dans Rock, l’expérience produite est une rencontre éthérée avec un paysage lunaire intérieur, un voyage au travers d’une vitre sombre qui mène au cœur de la sculpture.