La galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico est heureuse de présenter les dernières oeuvres de Benoît Maire pour son exposition Nuages et déchets qui se compose de peintures de nuages, série que l’artiste a initiée en 2011, de nouvelles sculptures et d'une série de “déchets”.
Vernissage en partenariat avec la Fondation d'entreprise Ricard.
Benoît Maire, né en 1978 à Pessac, vit et travaille à Paris. Ancien pensionnaire du Palais de Tokyo et étudiant à la Villa Arson, Benoît Maire a mené des études en art et en philosophie, une double formation qu’il fait se rencontrer dans sa pratique artistique en cherchant à donner une forme sensible à des concepts théoriques. Ses productions font souvent référence à l’histoire, l’histoire de l’art, la philosophie, la psychanalyse, ou même les mathématiques et la mythologie.
Lauréat du Prix Fondation d’entreprise Ricard en 2010 ex-aequo avec Isabelle Cornaro, on note parmi ses expositions personnelles récentes, la Fondation David Roberts (Londres, 2013), Fondazione Giuliani (Rome, 2013), la Verrière – Fondation Hermes (Bruxelles, 2014). Ses films ont été projetés entre autre au Centre Pompidou (Paris, 2014), à la Cinémathèque de Vancouver (2013) et à la Tate Modern (Londres, 2010).
Benoît Maire en conversation avec Mathieu Copeland, à propos des déchets de l’artiste filmés et introduit dans « l’exposition d’un film », la dernière exposition filmée de Mathieu Copeland, récemment projetée au Centre Pompidou.
Paris, le 11 décembre 2014, extraits
Mathieu Copeland : Je souhaiterais discuter avec toi de « déchets » et d’« objets indexés », deux expressions qui orientent ton œuvre. Cette notion de « déchet » inspire profondément ma réflexion sur ton travail récent, et me semble fondamentale pour penser l’œuvre d’art. Affirmer qu’une production ne serait autre que le déchet d’une pensée insiste sur ce fait que la pensée est l’œuvre. Ce qui nous conduit naturellement à ton indexation, puisque dire déchet c’est déjà indexer.
Benoît Maire : Des décisions prises pour fabriquer les objets se détachent d’autres objets. Ainsi, pourquoi ne pas conserver ces objets détachés, perdus et à jeter : ces déchets d’objets décidés que l’on ne saurait nommer. N’ayant pas de statut d’existence, ils échappent à l’ontologie qui qualifie les œuvres. Ils sont seulement en puissance, et retirés. J’ai décidé de les conserver, et en les indexant, de leur donner un statut. Il existe plusieurs manières d’indexer. On peut indexer par un article, un préfixe ou un suffixe. On peut aussi indexer par un mot, un concept. C’est ce que je fais. Mais la première indexation pourrait consister à montrer du doigt. La première indexation que j’ai faite de mes objets a consisté à coller dessus un sticker représentant une main. Pas n’importe quelle main ! La main du Baptiste qui pointe le ciel. Il y a là un rapport à l’indexation transcendantale telle qu’élaborée par Alain Badiou, et qui permet de mesurer la puissance d’apparition d’un événement. Il s’agit d’une échelle de mesure. J’ai vu dans le geste du Baptiste de Léonard la figure même de cette indexation transcendantale. J’ai donc naturellement commencé par indexer mes objets au moyen de ce sticker. Je les ai ensuite indexés au moyen d’un sticker représentant une aile, l’aile de l’ange de l’annonciation également de Léonard. Léonard est très doué pour les stickers... Par la suite, je les ai indexés au moyen de lettrages plastiques autocollants qui formaient des mots tels que « the », « those », « forgotten »…
MC : Les objets indexés ne sont pas nommés mais caractérisés par leur longueur, largeur, par tout ce qui les fait être.
BM : Exactement, leurs caractéristiques matérielles. Le plan de sauvegarde est lié à une pensée matérialiste qui conserve les propriétés matérielles caractérisant les objets. Les indexations pallient au manque de dénomination des déchets et servent à les ranger. Étant donné qu’ils échappent à une ontologie classique, il faut, pour les référencer, les classer, les ranger, des indexes. Les indexes servent à les sauver, à les inclure dans un plan de sauvegarde que j’ai appelé « letre » dans mes dernières expositions.
MC : Finalement, toute œuvre est déchet. Elle est résiduelle d’une pensée, d’un désir.
BM : Il est intéressant de différencier les objets décidés, des déchets. Dans une exposition, les déchets sont abandonnés dans l’espace. Ce qu’ils doivent exprimer, c’est l’abandon, leur détachement à l’égard de l’objet décidé. Après, est-ce qu’une œuvre est un déchet ? Je ne pense pas, car l’œuvre est bien une expression, mais elle est inséparable d’une orientation, c’est une expression orientée. Et c’est le processus d’orientation de l’expression dans la pratique qui la singularise et qui du même pas, engendre différents déchets liés à des choix. J’aime qualifier l’expression brute comme le fait de jeter au devant de soi des ordures. Mais l’œuvre n’est pas réductible à ce type d’expression, car elle découle de choix qui lui permettent de se préciser et de se séparer de ses virtualités. D’une certaine manière, la frontière dans la pratique entre ce qu’est le déchet et l’objet décidé est floue. On peut toujours prendre un déchet pour un objet décidé, et inversement. Mais cela m’intéresse de poser philosophiquement la frontière entre les deux, et de qualifier l’objet décidé d’objet atteint d’une expression orientée. Cet objet décidé, cette œuvre d’art s’est coupée de ce qu’elle aurait pu être d’autre, et lors de ce processus, elle a généré des déchets.
MC : L’indexation annule l’objet tout en lui donnant une réalité.
BM : Ça le sauvegarde, mais le but de l’humanité est la création d’un monde où il n’y aurait plus de décisions à prendre, et où il n’y aurait également plus de déchets. Un monde d’avant l’homme, où l’excrément d’un oiseau profite à un palmier ; ou un monde que l’homme a décidé de telle sorte qu’il ne lui soit plus possible de produire de déchets. C’est l’enjeu écologique.
MC : Pourquoi ce mot de « déchet » qui a une valeur négative au plus haut point ?
BM : Il y a quelques temps je croyais que parler c’était jeter au devant de soi des ordures. Parler d’ordures me permettait de m’inscrire dans une généalogie philosophique de la part maudite, de la part d’ombre. Ces ordures qui sont extraites du sans-fond de notre conscience et que l’on jette devant nous, nous permettent d’avancer. Il y a une valeur négative accordée à quelque chose qui est pourtant moteur de l’expression. L’intérêt dans l’expression est la part sans fond ou sans fondement. C’est l’infondé de l’expression dans l’expression qui va m’importer. Je pensais que l’on n’écrit ou que l’on ne dit qu’à la condition de jeter devant soi des ordures. Que l’on est ordurier. Je pensais par la suite que l’artiste était éboueur. Bientôt j’en parlais à un ami, et il était éboueur à son tour... Figure du fait de jeter des choses devant soi quand on parle. Figure de l’éboueur qui ramasse des choses par terre en leur attribuant des significations. Donc, quand je fais de la sculpture, forcément arrive la décision qui oriente mes objets et leur donne des qualités. Et je retranche des parties de ces objets que je vais jeter. Finalement ce sont les déchets qui m’attirent aussi, et ce sont peut-être ceux-là qui sont liés à une ontologie la plus forte, étant le négatif de l’ontologie téléologique qui oriente mes objets du fait de décisions. La part non-décidée de l’objet reste dans le déchet. Et le déchet en tant que non-décidé est ce qui contient le plus de puissance. Cette puissance que l’on ne peut pas encadrer, on ne peut pas la nommer car elle n’est pas liée à des décisions qui relèvent du processus de nomination. On ne peut donc que l’indexer, la montrer du doigt.