Lili Reynaud-Dewar entretient un rapport « hyper singulier » aux formes de l'art dont le but est de produire de nouvelles formes, « décadentes » sans doute, nées chez elle du rapprochement et du croisement de sources déclassifiées. Sa sculpture est modelée de design ; plus précisément, de celui du groupe Memphis et de cette rencontre esthétique qu'elle eut avec le meuble Carlton (1981) déjà hybride d'Ettore Sottsass.
Sculpture mobilier, sculpture socle, sculpture support, mobilier sculptural, les volumes de Lili Reynaud-Dewar s'évadent encore un peu plus de leur nature en construisant leur identités en termes de mélange d'entités, de référents disparates comme autant de tropes plus ou moins héritiers des cultures noires : celle de l'Amérique ou de l'Afrique, de ses racines esthétiques et musicales, politiques ou conceptuelles, corrompant tout en vivifiant leurs origines. C'est une pratique libre et ambivalente, pourquoi pas artificielle, de l'appropriation : un programme basé sur le croisement et la rencontre de sources marginales et mineures, de tropes culturels excentriques. Sources empruntées, appropriées, usurpées, détournées, réhabilitées ou rejouées, chaque élément, satellite à la sculpture même, est un indice qui ne prend vit que dans la rencontre avec l'autre. Cet autre a de multiples formes. Il peut être photographie, 33 tours, texte, affiche, céramique, lecture, musique, son, cuir, bois, c'est-à-dire à chaque fois comme une extension voire un débordement de la sculpture même. L'authenticité ne s'y perd pas mais se crée, elle s'y produit comme style. Chez elle, la palette des sources prend forme sur la scène de l'espace d'exposition utilisée comme plateforme scénaristique2.
Les modules sont construits par l'assemblage de planches de contre-plaqué collées, vernies ou brûlées au chalumeau. Ses volumes sont des modules de formes simples et élémentaires, l'équivalent d'idéogrammes éprouvés dans leur réduction qu'elles soient de taille ou de forme. Lors de son exposition à la galerie Cortex Athletico elle présente ainsi Chapel of Love and Loathing in Lost Vagueness la pièce originelle qui connut des avatars ou des déviances dans Little Miss Queen of Darkness et Queen Mother Nanny of the Mountains, ou des formes d'atrophie dans There's A Riot Going On.
Réductions d'oeuvres, céramiques et affiches aux couleurs jaune, vert, rouge, sont à leur tour empruntées par Franck Eon dans un dispositif en forme de drapeau pour trois moniteurs où il fait une nouvelle fois intervenir la Professeur de sociologie que John Currin peint en 1999. Iconographie populaire croisée de facture minimale dont la « pâte » est secondaire, la peinture de répertoire de Franck Eon absente le nouveau pour reprendre des histoires de son propre médium. Sauf que dans ce dernier accrochage, chose nouvelle, c'est à la sculpture qu'il emprunte son histoire en faisant coexister, dans un format de type chevalet, une oeuvre d'Anita Molinero et Geister de Thomas Schütte dont il reprend le titre pour un portrait de Derrick sous-titré Jeune Derrick au turban.
Remise en scène de figures de l'art choisies de façon élective et répétées d'oeuvre en oeuvre, recyclage d'ordre citationnel parfois savant, parfois indiciel, l'ensemble de son travail post-produit une culture multiple par des actes d'affiliation. Convoquer des images déjà existantes comme une vue du Futuroscope dont un paquebot s'éloigne, ou implanter ce même Futuroscope sur le Mont Servais enneigé, convoquer le style de John Armleder pour engager la série abstraite des Abstration faite, l'ensemble projeté dans un chantier artistique sans fin apparente, fait de Franck Eon un artiste pluridisciplinaire dans le cadre de sa propre discipline. Franck Eon est un peintre aux bords de la peinture. Peintre d'atelier, peintre d'exposition, il explore les différents niveaux de langage de son médium et se laisse volontiers influencer dans les formes (de la figuration à l'abstraction) et dans les fonds, aussi bien que dans les techniques (de la vidéo, à la peinture, à l'image de synthèse).
Lili Reynaud-Dewar née en 1975 est artiste, critique et commissaire d'exposition. Dans son exposition à la galerie Cortex Athletico elle rencontre, suite à son invitation, l'oeuvre de Franck Eon, peintre, né en 1961, représenté par la galerie.
1 Cf l?article programmatique qu'elle fit paraître dans Zérodeux à automne 2006, Possession, divertissement et esthétique.
2 Dans sa dernière exposition à la Zoogalerie, Lili Reynaud-Dewar mettait en scène sur le mode de l?allégorie et du double, la figure africaine du narrateur, poète et musicien nomade, le griot. Son double visage en jumeau côte à côte et symétrique, se matérialisait dans le plan à plan de la profondeur de la galerie par l?emploi de modules indépendants. Sculptures éclatées de formes géométriques archétypales, que le point de vue rassemble ou sépare, elles étaient ornées de cuir ou d?affiches découpées ou posées à même le sol. Mais, sur la scène de la galerie, intervenait également des collages, du texte et, un soir bien particulier, les lectures performatives de Jean-Marie Racon ( The center and the eyes) produites en créole, et celles de John Cage dans leurs langues originelles lues par Mary Knox.