Comment des fictions deviennent réalité
Photographe et vidéaste, Nicolas Descottes (né en 1968) réalise depuis la fin des années 90 des séries d'images où réalité et fiction s'entremêlent subtilement. Que se soit dans l'une de ses premières séries de 2000-2001 où des hommes de dos font face à la mer à Odessa, dans Burns, 2002, sur le thème d'immeubles incendiés, ou plus récemment dans les photos de nuit d'une raffinerie à Rotterdam (2006) et d'un pôle viticole dans le Médoc (2007), la réalité semble tronquée, appelant immanquablement l'imagination pour la compléter. Les images de Nicolas Descottes suggèrent en effet que l'accès à la réalité est limité et que, pour la comprendre, le recours à la fiction s'impose.
Plus encore, à travers des séries de photographies commencées en 2005 dans des centres de recherche sur la gestion des catastrophes, il interroge la notion de simulation comme construction d'une réalité fictionnelle. Premier ensemble sur ce thème, 3199 LM Maasvalakte montre des citernes en feu, des wagons brûlés, des avions recouverts de neige carbonique, toute une série de résidus de catastrophes organisées dans un centre à Maasvlakte (Pays-Bas). Les diverses explosions, mises à feu et arrosages violents ont métamorphosé la matière des objets, leur procurant un aspect quasi-pictural. Et si les photographies accréditent le fait que ces évènements ont bien eu lieu, leur nombre, leur systématicité, leur ampleur et l'absence, leur ampleur et l'absence de conséquences qui en découlent, indiquent qu'ils relèvent d'une fabrication calculée, d'une matérialisation du virtuel.
Poursuivant cette recherche, Nicolas Descottes concentre actuellement son travail sur une analyse plus précise des simulacres construits et utilisés dans les centres d'essai. Dans une deuxième série de photos réalisée depuis 2007 à travers différents lieux en Europe (à Revinge et Skövde en Suède, à Woendrecht aux Pays-Bas, à Vernon en France), la question de la transformation des matériaux est passée au second plan, au profit d'une observation des décors qui permettent d'organiser les simulations. Un hélicoptère massif au fenêtres opaques, un vieux train bloqué par une camionette sur une voie déserte, un carambolage de voitures en enfilade, quelques mannequins disposés ça et là dans les véhicules ou au sol, sont photographiés de manière plus statistique, plus objective et plus dépouillée que dans la première série, montrant les objets en attente d'une action. Dans ces dernières photographies, le réalisme opératoire des engins, contrebalancé par la grossièreté de certains détails volontairement négligés, éveille un sentiment qui mêle le grotesque à la terreur, et fait même naître un soupçon - mais s'agit-il de paranoïa - ? quant à leur réelle vocation. Les objets apparaissent en effet tels de gros jouets prêts pour imiter la guerre. Série dans la série, quelques photos donnent à voir des voitures étrangement accidentées, figées dans une posture presque ludique. La tension entre le jeu et le drame ainsi soulignée nous renvoie à notre imaginaire, à la construction de nos propres fictions.
Vanessa Morisset